L'art comme médecine
Dernière mise à jour : 6 mai 2021
Dans un de mes tiroirs, je dois encore avoir le Manifeste pour l'Art Bon Marché. Très probablement écrit par des hippies dans les années quatre-vingt. Il y est écrit, plus ou moins, c'est ce dont je me rappelle en tout cas : l'art nourrit l'âme et par conséquent c'est un droit universel et il ne doit pas être vendu à des millions de dollars dans des galeries à des personnes riches. L'art doit être vendu dans la rue et être accroché dans les cuisines ...
Vous vous imaginez bien que je suis tombée d'accord immédiatement. Peut-être parce que c’est ainsi qu’est mon art. Ou peut-être parce que les dessins qui me viennent à l'esprit et que je pose sur le papier, pour beaucoup ne sont pas de l'art. Parfois je ressens cela de la part d’autres artistes. Une fois, une photographe connue de l'art contemporain mexicain m'a dit : le discours de l'artiste est plus important que son œuvre !
C'est son droit de croire cela. Les discours de nombreux artistes contemporains me semblent effectivement être de l’art en soi. Mais moi je n’entre pas dans ce modèle. J’imagine que je ne suis pas contemporaine.
Je viens avec mon art de l'autre extrémité. Je viens à partir d'une feuille blanche, d’un pinceau, de différents types de couleurs et avec l'attitude d'un enfant qui veut jouer…. Je ne planifie presque pas, je ne suis pas chargée de NOUVEAUX PROJETS et plans, je crée seulement avec l’envie de savoir « que vais-je produire aujourd'hui ? » Même si, déjà avancée dans ma déficience visuelle, je continue à produire beaucoup de dessins, peut- être même plus qu'avant. Le temps passe vite…Part en courant ?
Je ne maîtrise qu'une seule technique, je ne peux pas peindre comme ceci ou cela, comme beaucoup de grands peintres, je peux seulement faire ce que je fais et je ne peux simplement pas m’arrêter de le faire depuis que j'ai commencé durant un après-midi triste et pluvieux il y a 42 ans.
J'essaie de mettre sur papier, avec des couleurs fortes et joyeuses, des situations courantes de la vie humaine; l'amour, le couple, la vie de famille, le quotidien avec les enfants et les rencontres avec les amies. Cela vient peut-être de ma quête du sens de la vie et de l'époque où je ne parlais pas encore espagnol mais que je vivais déjà au Mexique : un dessin de ma création, un Chinois, un Africain ou un homme de la lune peut le comprendre ! Il n’a pas besoin de mots. Des émotions s'expriment à travers mes dessins. Même si je sais, depuis jeune, que le monde est un lieu douloureux, mes dessins expriment presque toujours comment surpasser la douleur, ils content de nouvelles possibilités surprenantes. Sans parler espagnol, il m'était impossible de faire de la psychothérapie, ce qui était ma première passion.
Peut-être ai-je essayé de faire de la thérapie sans mots avec mes images?
Et s'il en fut ainsi : d'abord c'est une thérapie pour moi-même !
Ainsi, peut-être qu’IL Y A un discours dans mon art ? Mes images racontent des histoires de la vie quotidienne que nous connaissons tous et toutes. Elles t'invitent à apprécier et remercier les petites situations et beautés de la vie quotidienne et à ne pas oublier que des miracles existent ! Lorsque nous ressentons de la gratitude, nous sommes un peu plus heureux. Mon art n'est pas dans les galeries et musées, il se trouve dans les cuisines et salles de bains, sur des murs de cafés, sur des cartes postales gardées dans des livres et des journaux intimes…
Souvent des personnes m'écrivent quand elles ont l'occasion de revoir telle ou telle image. Parfois elles m'écrivent des dizaines d'années après l'avoir achetée et depuis les quatre coins du monde.
Il y a peu, une femme me raconta que plus de 30 ans auparavant elle avait acheté un tee-shirt aux USA avec le dessin de « BEAUCOUP DE FEMMES FORTES ET BELLES ». Le tee-shirt s’est détérioré et on ne les fabrique plus. C'est pourquoi cette dame a découpé l'image de son tee-shirt abîmé et a fait encadrer le bout de tissu avec le dessin qui maintenant décore le mur à côté de son lit.
Mon art est produit à Kikimundo, Hidalgo 3, San Cristóbal de las Casas, Chiapas, et de là voyage vers différents endroits du Mexique et du monde. Des personnes m'y cherchent, me félicitent, m'embrassent.. C'est comme si nous étions amis alors que bien souvent, nous nous sommes jamais vus auparavant. Ils veulent faire un selfie avec moi. Et j'embrasse et souris sur la photo. Il y a un échange entre nous dans ces moments, qui est plus que de l'art; l'art, l'image, le livre, c’est juste le pont.
C'est pour ça que je vis. Je ne parle pas de vantardise, même si c'est du miel pour l'ego et l'âme, je me réfère à la RENCONTRE HUMAINE qui se produit. Elle crée espoir et force pour franchir nos nombreuses crises de la vie.
Parfois, les dessins vont bien au-delà. Je me souviens d'une famille qui vivait depuis de nombreuses années aux États-Unis; où à ce moment je vendais de nombreux produits avec mes images. L'un des plus beaux produits était une couverture imprimée et j'en ai vendu beaucoup avec l'image de BOOKWOMAN, la femme aux livres, une image que j'avais peint pour deux amies lesbiennes qui avaient un grand magasin d'ouvrages féministes à Austin, Texas appelé BOOKWOMAN.
Cette famille m'a écrit : "notre mère était vraiment une BookWoman, une femme qui vivait pour lire des livres. Elle est tombée malade. Elle savait qu'elle allait mourir. Elle nous a demandé de l'enterrer enveloppée dans sa couverture BOOKWOMAN et c'est ce que nous avons fait. Et nous voulions juste que tu le saches !"
L'année dernière, une jeune fille m'a recherchée et m'a dit qu'elle était venue me raconter qu'elle était autiste, et que désormais, il lui était plus facile d’être en contact avec d'autres personnes, mais que quand elle était petite, elle ne voulait pas sortir de la maison, se mélanger et interagir avec quiconque. Elle vit à l'autre bout du Mexique, mais régulièrement elle visitait San Cristóbal avec ses parents. "Je veux que tu saches que quand je venais à San Cristóbal, je venais à ta boutique, à Kikimundo. Je disais à ma mère d'aller faire ses courses et que moi, je resterais ici avec tes dessins. C'était le seul endroit où je n'avais pas peur. Je me détendais. Et tes employées très gentilles me permettaient de rester là pendant des heures à regarder tes tableaux et cartes et c'était ça ma médecine !"
Nous nous sommes embrassées et avons pleuré ensemble.
Il y a quelques années, une jeune fille m'a écrit que sa mère qui était fan de mon art souffrait de fibrose pulmonaire et me demandais si je pouvais peindre un tableau pour elle.
Ce que je fis.
Jusqu'alors je ne savais pas combien cette maladie était difficile. Puis, j'ai oublié la jeune fille, son nom, mais dans nos groupes d'entraide mutuelle il y eut plusieurs cas de fibrose pulmonaire et aussi autour de moi et du coup je repensais beaucoup à la mère de la jeune fille, mais je n’ai jamais su comment la retrouver.
Il y a peu elle m'a écrit et m'a laissé très émue :
" Bonjour Kiki, il y a longtemps lorsque j'avais 9 ans, je t'ai demandé si tu pourrais faire une peinture de ma mère qui s'appelle Patricia et qui souffrait d'une fibrose pulmonaire, malheureusement ma mère est décédée il y a 3 jours, mais je voulais prendre le temps de te remercier de tout cœur pour cette peinture, elle l'aimait beaucoup et elle a toujours aimé ton art, elle nous nous parlait toujours de tes articles et c'est pour cela que je voulais te dire merci pour le tableau que tu as peint pour elle ! "
Cette fille, Gaby, a aujourd'hui 13 ans et sa sœur, Sol, en a 20. J'ai mangé avec les deux jeunes femmes et elles m'ont donné un témoignage impressionnant de comment leur mère a vécu sa maladie, avec intensité et une telle envie de vivre! Elle a continué à travailler jusqu'à très peu de temps avant de mourir, elle écrivait... Cette femme était une véritable artiste de la vie ! Elle a partagé toutes les phases de sa maladie avec ses enfants et les a préparés pour ce moment, peu après la mort de leur mère, elles sont pleines d'amour et très tranquilles…
Oui, les miracles arrivent et parfois nous pouvons les créer !
Ce sont des rencontres et des expériences extraordinaires, pour moi mystérieuses et magiques. L'art peut être réconfort, refuge, médecine…. Et de là ma petite vie prend tout son petit sens.
Traduction vers le français fournie par Mondo Agit dans le cadre du projet de PerMondo
(traduction gratuite pour les ONG et les associations sans but lucratif). Traductrice: Line Lerus.
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